Bonjour à vous toutes et à vous tous,
Grand Prix du roman de l’Académie française, Le Mage du Kremlin (Gallimard, 2022) de l’essayiste-politologue italo-suisse de 49 ans Giuliano da Empoli, est dédié à Alma, sa fille.
Gardons en tête que ce livre a été écrit avant le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février 2022, ce qui rend sa lecture d’autant plus captivante et de laquelle nous sortons mieux outillés pour comprendre les agissements et les objectifs de Vladimir Poutine.
Malgré tous les éloges autour de ce premier roman, j’ai pourtant hésité plusieurs semaines avant de me résoudre à le lire. Je me demandais si j’allais comprendre et suivre les enjeux dont il était question, mais également si j’avais envie d’entendre parler durant 280 pages de Vladimir Poutine … Je me suis finalement décidée et je suis loin de regretter mon choix. Le Mage du Kremlin est un cours d’histoire en accéléré sur un moment charnière du XXIe siècle.
Tous les noms sont vrais, sauf celui du « mage du Kremlin » du titre, Vadim (Vadia) Alexeïevitch Baranov. Avant de devenir homme d’affaires et conseiller politique, celui qui dans la réalité se nomme Vladislav Sourkov, a fait de la mise en scène, a produit des émissions de télévision et a même publié un roman sous le pseudonyme de Nicolas Brandeis. Mais l’histoire va surtout retenir qu’il a été « l’idéologue derrière l’arrivée au pouvoir de Poutine » en 2001. Juste l’écrire me donne des frissons dans le dos.
Né en 1952 à Léningrad, Vladimir Poutine a d’abord été officier du KGB avant que Boris Eltsine le nomme, en 1998, directeur du Service fédéral de sécurité (FSB, l’ancien KGB). Un an plus tard, à l’âge de 57 ans, il devient le président du gouvernement de la Russie. On connaît la suite et ses conséquences. C’est une chose de le savoir, une autre de revenir sur son parcours !
Quand débute le roman, il y a déjà quelques années, Vadim Baranov, celui qu’on appelait « le Raspoutine de Poutine », a donné sa démission de conseiller politique ; il vit aujourd’hui dans sa maison remplie de livres anciens aux côtés d’Anja, sa fille de cinq ans.
C’est donc par l’entremise du narrateur, jamais nommé, que nous est relatée la vie de Baranov, de son enfance quand ses parents l’envoyaient passer ses étés chez son grand-père qui habitait une isba à la campagne, jusqu’à son ascension comme le « nouveau Raspoutine », avant de donner sa démission en février 2021, après quinze ans de service. Pour quelle(s) raison(s) celui qui avait une place « privilégiée » auprès de Poutine a-t-il décidé de se retrancher dans ses terres ?
Mais qu’était venu faire le narrateur à Moscou ? Combien de temps devait-il y rester ? Comment Vadim Baranov connaissait-il cet homme qui œuvre au sein d’une université française ? Quel lien y a-t-il entre eux et Evgueni Zamiatine (1884-1937), ingénieur naval, professeur et l’auteur de Nous, publié en 1920, puis retiré du marché trois ans plus tard à la demande des autorités ?
Giuliano da Empoli nous fait descendre dans les coulisses du pouvoir, nous démontre les façons de travailler et de penser de Vladimir Poutine, de sa garde rapprochée, des oligarques dont le milliardaire Boris Berezovsky, propriétaire, entre autres, de l’ORT (Opération de revitalisation de territoire).
J’ai pris plusieurs fois des notes durant ma lecture. Des phrases chocs, percutantes, incisives. Quatre exemples parmi tant d’autres :
« Voyez-vous, l’élite soviétique, au fond, ressemblait beaucoup à la vieille noblesse tsariste. Un peu moins élégante, un peu plus instruite, mais avec le même mépris aristocratique pour l’argent, la même distance sidérale du Voyez-vous, l’élite soviétique peuple, la même propension à l’arrogance et à la violence », de dire Vadim Baranov au narrateur. (p. 52)
Ou alors : « Je suis habitué à exécuter des ordres et, par certains côtés, je trouve que c’est la condition la plus confortable pour un homme. Mais le président de la Russie ne peut ni ne doit être soumis à qui que ce soit. L’idée que ses décisions soient conditionnées par un intérêt privé quelconque est pour moi tout à fait inconcevable », de dire Poutine à Baranov. (p. 99)
« Kasparov, sérieusement, savez-vous ce que signifie la démocratie souveraine ?
- Je ne suis pas un politologue, mais en tant que joueur d’échecs, je dirais que c’est plus ou moins le contraire d’une partie. Aux échecs, les règles restent les mêmes mais le vainqueur change tout le temps. Dans votre démocratie souveraine, les règles changent, mais le vainqueur est toujours le même. » (p. 191)
Et une petite dernière : « La première règle du pouvoir est de persévérer dans les erreurs, de ne pas montrer la plus petite fissure dans le mur de l’autorité. (p. 225)
Et si tout ce qui a été écrit dans Le Mage du Kremlin n’avait été qu’un cauchemar ou à la limite une mauvaise pièce de théâtre à laquelle nous aurions assisté, les répercussions auraient été limitées. Mais la réalité dépasse parfois la fiction et c’est malheureusement le cas ici. À lire, sans aucune hésitation !
Cette oeuvre a déjà été suggérée par le Club des Irrésistibles, lire ici.
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