Bonjour à vous toutes et à vous tous,
Karine Tuil frappe un grand coup avec son dernier roman. D’une efficacité redoutable qui nous confronte à une réalité de plus en plus inquiétante, La Décision (Gallimard, 2022) devrait être mis au programme des cégeps et des universités, car c’est le livre parfait pour discuter de certains enjeux de notre société.
Parisienne de 49 ans, la narratrice, Alma Revel, est mariée depuis un quart de siècle à l’écrivain Ezra Halevi, parents de jumeaux de 12 ans et de Milena, 23 ans. Elle exerce depuis plusieurs années la profession de juge d’instruction antiterroriste. Voici ce qu’elle dit : « Il y a trois mois, dans le cadre de mes fonctions, j’ai pris une décision qui m’a semblé juste mais qui a eu des conséquences dramatiques. Pour moi, ma famille. Pour mon pays. » (p. 19)
« Les gens connaissent mal les juges d’instruction antiterroristes ; avec les agents du renseignement, nous sommes les hommes et les femmes de l’ombre ; c’est nous qui dirigeons les enquêtes, qui interrogeons les mis en examen, les complices, qui recevons les familles des victimes. On ne porte pas l’accusation, on ne travaille pas sur la culpabilité – il y a des procureurs pour ça ; notre métier, ce sont les charges : on ne se fie qu’à des éléments objectifs car si on n’a rien, on alimente le fantasme de la poursuite politique. » (p. 20)
Alma a des journées chargées, certains diraient qu’elle travaille beaucoup trop. Mais le fait-elle parce qu’elle aime son boulot ou pour « fuir son quotidien » qu’elle partage avec ses enfants et son mari ? Ce dernier, fils d’immigrés juifs d’Europe de l’Est, a connu dans la vingtaine du succès en tant qu’écrivain. Aujourd’hui, à 50 ans, il n’arrive pas à se renouveler. Peut-être que recevoir un prestigieux prix trop jeune peut être fatal…
Le cas dont il est question ici est celui du couple formé par Abdeljalil Kacem, né en 1993, et Sonia Dos Santos, 20 ans. Ils se sont connus par Internet en juin 2014 ; un mois plus tard, ils étaient mariés et, en décembre de la même année, ils s’envolaient vers la Turquie où, par ailleurs, est né leur fils Salim. Quelle était la raison première de ce voyage ? Oui, ils voulaient tous les deux vivre dans un pays musulman, mais était-ce pour rejoindre Daech ou, comme Abdeljalil le prétend, partir pour « faire de l’humanitaire » auprès du peuple syrien ? A-t-il rejoint l’État islamique ?
Détenu depuis son retour en France en mars 2015, Abdeljalil est-il bon comédien au point de berner tout le monde ou est-il sincère lorsqu’il affirme qu’il n’est pas un terroriste et qu’il regrette d’être parti ? Peut-on réellement cerner l’intention de quelqu’un ? « Je suis revenu rapidement en France parce que j’ai pris conscience de mon erreur dès mon arrivée et je n’ai qu’un but à présent, vivre tranquillement sans causer de problèmes à personne. » La rédemption est-elle possible ? Peut-on réparer une erreur ?
Plusieurs questions se posent : Abdeljalil est-il oui ou non coupable ? Si oui, de quoi l’accuse-t-on ? A-t-il été embrigadé en Syrie ? A-t-il manié des armes ? Sa femme a-t-elle joué un rôle quelconque durant leur exil ?
Les mères des deux jeunes sont également interrogées : Meriem Kacem, née Benachour en 1966 à Alger, a mis au monde cinq enfants, dont Abdeljalil, l’avant-dernier de la fratrie. Elle est musulmane pratiquante de nationalité française, veuve d’un ouvrier en bâtiment, brutal et autoritaire. Elle gagne sa vie en travaillant à la cantine de la mairie de Bondy.
Si Abdeljalil vient d’une famille algérienne, celle de Sonia est portugaise. Ce sont des catholiques pratiquants arrivés en France dans les années 70, qui ont eu quatre enfants. Le père, aujourd’hui décédé, était garagiste ; la mère est coiffeuse dans un centre commercial.
Alma, qui a encore foi en l’être humain, va-t-elle céder en libérant Abdeljalil comme l’avocat de la défense le lui demande ou va-t-elle choisir de le garder en détention jusqu’à son procès ? Si elle le remet en liberté, elle prend le risque qu’il ait possiblement menti et qu’il pourrait alors commettre le pire en territoire français. Par contre, si elle le garde en prison, il est fort possible qu’il se radicalise et…
Alma tente de faire du mieux qu’elle peut. Elle cherche la vérité, mais rien n’est simple. Il y a beaucoup de zones grises. En plus de ce dossier très complexe auquel elle est confrontée, Alma doit aussi prendre une décision – le titre aurait pu être au pluriel – dans sa vie personnelle. Elle fréquente LA seule personne qu’il aurait mieux valu éviter. Cela va-t-il avoir des conséquences sur le cours de l’enquête ? Les gens de son entourage réussiront-ils à la convaincre de mettre fin à cette liaison ?
Travail de longue haleine de Karine Tuil pour mener à bien ce livre qui est une grande réussite et qui nous oblige à la réflexion. Et nous, quelle décision aurions-nous prise ?
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Je vous souhaite de très belles découvertes et à la semaine prochaine,
Marie-Anne