Bonjour à vous toutes et à vous tous,
À train perdu (XYZ, 2020) de Jocelyne Saucier commence avec cette phrase qui nous entraîne immédiatement dans un voyage énigmatique : « 24 septembre 2012, Gladys Comeau est montée à bord du Northlander et on ne l’a plus revue à Swastika, qui n’est pas une ville, même pas un village, tout juste une bourgade le long du chemin de fer. »
Pourquoi le narrateur quarantenaire, fils de cheminot, célibataire, sans enfants, et professeur d’anglais à la polyvalente de Senneterre, s’est-il intéressé à la disparition de celle que l’on surnommait « la femme de Swastika », alors qu’il n’y a même pas eu d’enquête policière ?
Durant quatre ans, après avoir parcouru des centaines et des centaines de kilomètres, à force d’interroger voisins, ami(e)s, ex-élèves des school trains qui ont connu Gladys, voilà qu’il nous livre aujourd’hui le fruit de son enquête.
C’est ainsi que l’on apprend que Gladys, l’aînée d’une famille de quatre enfants, a eu la chance d’avoir un père qui enseignait à bord des school trains. Ce fut, d’après ses dires, les seize plus belles années de sa vie. « De 1926 à 1967, sept school trains ont sillonné le nord de l’Ontario pour aller porter l’alphabet, le calcul mental et les capitales d’Europe aux enfants de la forêt. » Une dizaine d’élèves fréquentaient durant un peu plus d’une semaine ces « écoles ambulantes », qui ressemblaient en tout point aux écoles traditionnelles. Puis, le train repartait 20 kilomètres plus loin pour instruire d’autres jeunes avant de revenir à son point de départ un mois plus tard.
C’est lors de son mariage avec Albert Comeau, fils d’un père trappeur francophone et d’une mère ojibway, rencontré à bord des school trains, que Gladys s’est installée à Swastika, avenue Conroy, il y a 55 ans de cela. Mais, en 1958, soit un an plus tard, son mari mourrait à la suite d’une chute mortelle à la mine de Lake Shore. Mère monoparentale, elle a dû élever seule sa fille unique. Autant Lisana était suicidaire et disait ne pas avoir la force de vivre, autant Gladys était l’optimisme incarnée.
Gladys est partie sans rien emporter, possiblement pour n’éveiller aucun soupçon. Swastika, est une communauté tissée serrée d’à peine 200 habitants, où tout le monde connaît les allées et venues des uns et des autres.
La gare où elle a pris le train – détail dont on est certain – n’a plus le lustre d’autrefois et est majoritairement désertée. Ce matin du 24 septembre 2012, Sydney Adams, chef de train du Northlander, compte trois personnes sur le quai de la gare : un Ukrainien, un écrivain français, Léonard Mostin, et Gladys.
Cette journée-là, Gladys qui d’habitude était très volubile, est restée droite comme un piquet, regardant par la fenêtre du train, sans rien dire. Ce que l’on sait, aussi, c’est qu’elle est descendue du train à North Bay et avait poursuivi sa route en bus en direction de Sudbury où habitait sa sœur cadette Elizabeth Campbell. D’après cette dernière, Gladys a pris le train le lendemain en direction de Chapleau.
Le narrateur sera aidé dans sa quête par des gens qui ont connu de près ou de loin Gladys. Qu’il s’agisse de sa grande amie et confidente Suzan qui a étudié avec elle à bord des school trains ; de Frank et Brenda Smarz, voisins immédiats de Gladys depuis une vingtaine d’années ; il sera aussi question de Bernie Jaworsky, 70 ans, d’origine ukrainienne, le « plus fidèle accompagnateur » du narrateur. Janelle, franco-ontarienne en continuel déplacement, jouera également un rôle primordial dans la vie de Gladys, rencontrée à bord du Budd Car…
Si vous connaissez peu les régions du nord de l’Ontario et du Québec, prenez le temps de jeter un œil sur la carte qui figure au début du roman. Cela vous aidera à mieux traverser certaines régions dont juste les appellations donnent à rêver et nous incitent, à notre tour, à vouloir prendre le train. Je vous souhaite un bien beau voyage en compagnie de gens attachants, hors du commun.
Cette oeuvre a déjà été suggérée par le Club des Irrésistibles, lire ici.
J’étais très heureuse de revoir la pièce Le Vrai Monde ? de Michel Tremblay, présentée en salle au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 6 juin et depuis le 26 mai, en webdiffusion. Quel texte habillement construit entre l’instant présent et le passé, la réalité et la fiction !
Malgré le fait que ce soit la quatrième fois que je vois la pièce – au Rideau Vert en 1987, 1999 et 2021 et chez Duceppe en 2007 –, à chaque représentation, je suis toujours aussi touchée, émue, bousculée. Pièce intemporelle, qui sera encore jouée dans des décennies, ici comme ailleurs, tellement le sujet est universel. Que l’action se déroule à Montréal dans les années 60 ou dans une autre ville, elle rejoindra toujours les gens.
La réalisation de la captation vidéo de Pierre Séguin est une belle réussite, ainsi que la mise en scène d’Henri Chassé. En pleine pandémie, il n’a pas dû être évident de faire interagir sept comédiens sur la scène exiguë du Rideau Vert, mais toute la distribution s’en tire fort bien.
Claude (Charles-Alexandre Dubé, très juste), 23 ans, est parti de chez ses parents il y a deux ans. Il n’aime pas son travail à l’imprimerie et en profite pour gruger du temps pour écrire une pièce de théâtre qu’il fait lire à sa mère, Madeleine (Isabelle Drainville et, plus jeune, Madeleine Péloquin, deux fabuleuses interprètes). Claude n’est pas un garçon qui parle beaucoup, il a plutôt tendance à écouter et ce qu’il a à dire passe par l’écriture.
Alors que Madeleine commençait à peine à partager avec son fils ce qu’elle pensait de son manuscrit, Alex (Michel Charette et François Chénier, plus jeune), le mari de cette dernière, déposait sa valise après avoir sillonné les routes du Québec. Ce vendeur d’assurances, derrière le farceur qui veut avoir du « fun », cache un être incapable d’exprimer ses sentiments. L’ambiance, ce jour-là, n’est pas à la fête, le volcan est sur le point d’entrer en éruption.
Dans la famille, le silence est roi. Par exemple, Madeleine sait que son mari a des aventures durant ses déplacements, mais comme il revient toujours à la maison et qu’il lui dit : « C’est toi que j’aime, les autres ça ne compte pas », elle ne dit mot.
Se jouent devant nous deux pièces de théâtre : celle écrite par Michel Tremblay et celle que Claude fait lire à sa mère. Simultanément, nous avons droit aux deux versions, celle du dramaturge et celle du fils, écrivain en devenir. Qui dit vrai ? Tout y passe : déni, désaveu, mensonge, hypocrisie…
Claude pensait-il vraiment qu’en étalant la vie de sa famille sur des feuilles de papier – avec, de plus, leur vrai nom – que sa mère allait sauter de joie ? Elle est plutôt offusquée par ce qu’elle vient de lire. Elle ne veut pas que la pièce soit publiée et encore moins jouée. Quelle décision prendra Claude après avoir vu la réaction de sa mère ? Comment réagira son père s’il décide de la lire à son tour ? Sans oublier les commentaires de Mariette (Catherine-Audrey Lachapelle et Charli Arcouette, plus jeune), la sœur de Claude, qui travaille comme danseuse dans des clubs.
Bien sûr, la question se pose : est-ce que Claude avait le droit de s’approprier les faits et gestes des membres de son clan pour écrire sa première pièce de théâtre ?
La scène finale entre le père et le fils est toujours aussi bouleversante. Un rapprochement est-il possible ? Vont-ils finir par se comprendre ? Claude réussira-t-il à dire à son père tout ce qu’il pense de lui et ce qu’il a sur le cœur ? Y a-t-il de l’amour malgré tout ou juste de la détestation ?
Le Vrai Monde ? soulève une foule de questions, nous fait passer par toute la gamme des émotions et nous interroge à notre rapport à la famille.
Les Irrésistibles de Marie-Anne ont aussi leur page Facebook. Venez voir !
https://www.facebook.com/LesIrresistiblesDeMarieAnne
En vous rendant sur la chaîne YouTube à l’émission Les Irrésistibles de Marie-Anne, vous pourrez entendre, à chaque semaine, mes commentaires et critiques de théâtre ou d’arts visuels.
Je vous souhaite de très belles découvertes et à la semaine prochaine,

Marie-Anne