Kressmann Taylor, Kathrine

C’est un échange de lettres, dans les années trente, entre deux amis galeristes allemands, Max et Martin. Tous deux étaient associés en Californie quand Martin décide de rentrer au pays où il vit alors les débuts de l’hitlérisme. On comprend qu’après l’humiliation de la défaite, le désordre dans tous les domaines, la misère et la pauvreté, Martin soit enthousiaste et vénère celui qui vient remettre de l’ordre et redonner la fierté à ce pays. Toutefois, il a momentanément des doutes lorsqu’il écrit à son ami juif : « À toi seul, Max, je peux avouer que j’ignore qui il est vraiment. Oui, je l’ignore. Pourtant je ne perds pas confiance. »
Il est étonnant que Martin qui était conscient du sort terrible réservé aux Juifs, dès l’arrivée au pourvoir de Hitler, se soit embarqué si facilement dans le mouvement antisémite haineux et barbare, et même l’approuvant, malgré les mises en garde de son ami Max plus clairvoyant. Son engouement et son adhésion totale à ce régime politique ne l’empêcheront pas de payer de sa vie ainsi que de celle de sa famille pour avoir été, en des circonstances imprévisibles, en relation avec des Juifs.
C’est une correspondance qui vous fait chavirer avec d’autant plus de facilité que l’illustration réaliste de l’extermination de ce peuple se retrouvait ces dernières semaines sur TV5, Jusqu’au dernier !
Sur une note plus personnelle. Ce livre réveille des moments douloureux et impérissables. Je vivais alors avec ma famille dans l’Est de la France, région proche de l’Alsace que voulaient reprendre les Allemands, partie de l’ancienne Lotharingie. C’est pourquoi nous étions dans la zone « interdite » de la France et non pas simplement « occupée », zone où les Allemands étaient plus cruels et stricts.
J’étais dans ma première année secondaire, en 1942, lorsque trois officiers de la Gestapo sont entrés dans ma classe avec des claquements de bottes. Mes camarades et moi étions terrorisées. Ils demandèrent au professeur d’identifier deux jeunes de la classe. Le professeur aurait pu refuser cette demande, mais c’est lui qui aurait été emmené par la Gestapo en plus des filles (l’une était la fille du tailleur de mon père, je me rappelle encore leurs noms et prénoms), des gamines comme moi, d’une dizaine ou douzaine d’années, qui ne demandaient rien d’autre qu’à étudier et à vivre en paix sous la férule allemande, mais elles avaient le tort d’être juives, ce que d’ailleurs j’ignorais. Ils les emmenèrent brutalement puis cherchèrent ensuite la sœur de l’une d’elles dans une classe inférieure. Une seule revint des camps de concentration !
Titre original : Address Unknown
Membre : Outremont
Kressmann Taylor, Kathrine. Inconnu à cette adresse, Éditions Autrement, 1938, 1999, 70 pages.
Cette oeuvre a déjà été suggérée par le Club des Irrésistibles, lire ici.