Bonjour à vous toutes et à vous tous,
Non, vous n’avez pas la berlue si vous pensez que vous avez déjà eu entre les mains Une heure de ferveur (Actes Sud, 2022) de Muriel Barbery, car l’écrivaine française reprend les mêmes personnages que l’on retrouvait dans le roman Une rose seule, publié il y a deux ans. Ce dernier commençait alors que Rose, âgée de 40 ans, quittait la France pour Kyōto. Elle était conviée à la lecture du testament de son père, Haru Ueno, qui venait de mourir et dont elle ne connaissait strictement rien. Cette fois, Barbery nous fait faire le voyage en sens inverse.
La narration est assurée par Haru Ueno, né en 1949 dans les montagnes près de Takayama. Fils d’un modeste brasseur de saké, il est arrivé à l’âge de 20 ans à Kyōto. Il est devenu, au fil du temps, un homme riche : « Pendant longtemps, il avait cru aimer la matière – la roche, l’eau, les feuillages et le bois. Quand il avait compris qu’il aimait les formes que prenait cette matière, il était devenu marchand d’art. »
Célibataire par choix, Haru aime les femmes – il a plusieurs maîtresses, dont certaines Occidentales – faire la fête, manger au restaurant, fumer, boire du thé et, bien sûr, du saké – jamais, du moins, au point d’être déplacé ou saoul.
Pour ce qui est de ses amis, il leur est très fidèle. En voici quelques-uns :
Le poète, calligraphe et potier Keisuke Shibata, « l’homme grâce auquel sa vocation était advenue », rencontré en 1970 chez Tomoo Hasegawa, producteur de documentaires.
Sayoko Nishiwaki, son intendante qui lui est dévouée corps et âme et en qui il a entièrement confiance.
Paul Delvaux, Clara, sa femme, et Anna, leur fille, qui ont quitté leur Belgique natale pour s’installer au Japon et qui occuperont une place importante dans sa vie.
La pianiste française Emmanuelle Revers avec qui il aura une courte, mais très belle complicité.
Et Beth Scott, une riche veuve anglaise, qui passe de plus en plus de temps au Japon.
Celle qui changera la vie d’Haru, le 20 janvier 1979, est attachée de presse d’une institution culturelle. Célibataire de 28 ans, Maud Arden et lui vont passer dix nuits ensemble, sans aucune promesse de lendemain, avant qu’elle ne reparte chez elle en France – elle partage sa vie entre Paris et la Touraine.
Quelques mois plus tard, par une tierce personne, Haru apprend que Maud est enceinte. Il lui écrit et reçoit comme réponse : « L’enfant est de toi. Si tu cherches à me voir ou à le voir, je me tue. Pardonne-moi. » Que fera Haru ? Va-t-il respecter ou non la requête de Maud ? Pour quelle raison agit-elle ainsi ? Voulait-elle être enceinte sans s’encombrer d’un mari ? Nous ne sommes qu’au début de cette histoire touchante et prenante.
Nous suivons donc sur quelques décennies le parcours d’Haru et de son entourage, vie qui comporte joie et malheur, espoir et désillusion. « […] Ceux qui pouvaient être heureux mouraient, ceux qui vivaient étaient malheureux, la vie s’enfonçait dans un marais d’infortune et de deuil où il échouait comme ami et comme père. » (p. 198)
Si vous désirez lire ce récit chronologiquement, commencez par Une heure de ferveur et poursuivez avec Une rose seule. Mais si cela vous importe peu, alors allez-y par ordre de publication. Quelle que soit votre décision, sachez que les deux romans peuvent se lire indépendamment et valent le détour.
En 2017, j’avais lu le percutant Homo Sapienne de Niviaq Korneliussen, roman qui m’habite encore ! Cinq ans plus tard, l’écrivaine groenlandaise publie son deuxième titre, La Vallée des fleurs (La Peuplade, 2020, 2022), qui s’est mérité, l’an dernier, le Grand prix de littérature du Conseil nordique.
Trentenaire, née dans une ville située au sud du Groenland, Niviaq Korneliussen vit aujourd’hui à Nuuk. Elle a d’abord écrit La Vallée des fleurs en danois qu’elle a elle-même traduite en groenlandais, tandis que la traduction du danois au français est l’oeuvre d’Inès Jorgensen.
La Vallée des fleurs ne peut laisser personne indifférent soit par ses nombreux sujets (suicides, pauvreté, abus de toutes sortes, désespérance, amours compliqués, idées préconçues, mensonges, tromperies…), soit par les mots directs et parfois crus que prononce la narratrice. Pourtant, tout n’est pas noir. Pour preuve, l’acceptation des amours lesbiens de la narratrice par les membres de sa famille, mais disons que les lueurs du soleil de minuit se font rares.
Les chapitres qui sont en ordre décroissant (de 45 à 1), comme si un décompte était commencé (pour qui ?), donnent la parole à une Inuite qui n’a pas de nom ni de prénom, comme si elle n’avait pas encore trouvé sa vraie identité et/ou sa place dans la société où elle vit. Également, chacun des intitulés de la première des trois parties que comporte ce roman, commence en annonçant un suicide : « Femme. 38 ans. Pendaison » ; « Jeune homme. 19 ans. Par balle. » « Femme. 76 ans. Pendaison », etc. Tragique !
La narratrice, la jeune vingtaine, vit chez ses parents à Nuuk. Elle était très attachée à aanaa, sa grand-mère, décédée il y a quelques années. Elle est sur le point de quitter son père, sa mère, sa sœur et Maliina, sa petite amie, pour le Danemark (même pays, mais réalité tout autre), où elle est inscrite en anthropologie à l’Université d’Aarhus. Pourquoi cette discipline en particulier ?
À Aarhus, elle est logée au dernier étage de La Maison du Groenland. Elle a accès également à une conseillère, Kirsten. L’intégration avec les autres étudiants danois n’est pas facile, ils sont souvent remplis de préjugés à son égard, mais elle tente de garder le cap. Y arrivera-t-elle ?
Un soir, en revenant à sa chambre, elle reçoit un message de Maliina qui lui apprend que Guuju, sa cousine de 17 ans, « s’est pendue avec la corde de son père, celle qu’il utilise pour sa barque. À la poignée de porte ». Au Groenland, les jeunes auraient « le plus haut taux de suicide au monde ». Elle s’organise pour trouver l’argent qui lui permettra d’aller à Tasiilaq rejoindre et accompagner son amoureuse dans cette terrible épreuve. Les examens de fin de session attendront !
Maliina a grandi à Tasiilaq et habite Nuuk depuis bientôt 20 ans. Elle veut comprendre ce qui s’est passé. Pour ce faire, elle va rencontrer au foyer d’étudiants, Sejer, celui qui a été le meilleur ami de Guuju – ils se connaissaient depuis toujours. Elle lui demande si c’était sa première tentative, s’il a une idée de ce qui l’a incitée à poser ce geste ultime. Puis, elle se rend à l’hôpital pour parler à un médecin. Est-ce que quelqu’un a proposé à sa cousine une aide quelconque ?
La mère de Maliina est inquiète, car elle a lu qu’il y a « 50% de probabilités de plus pour qu’un proche d’un suicidé se suicide aussi ». Est-ce que le manque de lumière en période hivernale peut avoir une incidence sur le taux élevé de suicides au Groenland ? Ou n’est-ce pas le contraire, comme le prétend un chercheur, « sur le fait que la plupart des suicides ont lieu quand la lumière revient, surtout en juin » ?
Le roman fait quelques retours en arrière, dont ce moment où la narratrice apprend, de la bouche de sa grand-mère, qu’Angutivik, un de ses amis proches, s’est suicidé dans la grotte de Tulugannguit, dite « la montagne aux corbeaux ». C’est aanaa qui lui avait parlé de ce lieu la première fois, appelé aussi la grotte du qivittoq.
La narratrice attire-t-elle le malheur ? Comment sa relation avec Maliina évoluera-t-elle ? Est-ce que l’amour pourra, en quelque sorte, la sauver ?
Si vous êtes déprimés, si vous avez le moral à zéro, peut-être devriez-vous y penser à deux fois avant de vous lancer dans cette lecture. Pour ma part, si j’ai persisté, c’est pour connaître une autre réalité, celle dont on a peu d’échos.
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Je vous souhaite de très belles découvertes et à la semaine prochaine,

Marie-Anne