Poirier, Nadine

Après des jours de douceur et de méli-mélo météo, l’hiver a repris ses droits en nous plongeant dans un froid glacial et en nous ensevelissant sous une grosse bordée de neige. Tout est blanc. Où est la chaleur, pour nous qui n’avons pas les avantages du long séjour dans le Sud d’une Floridienne que je connais ? Où sont les couleurs ?
Elles sont dans la touchante histoire de la rencontre de Lia avec un sans-abri. Dans les dessins de ce qui est peut-être la représentation des ruelles vivantes de Montréal, en plein été. Dans les magnifiques illustrations de la bande dessinée La Case 144. Un univers séduisant aux couleurs éclatantes : le rouge grenadine des maisons ; les décors d’un jaune ensoleillé, jaune mimosa, jaune beurre frais, plus tendre ; le vert sauge des arbres ; le gris tourterelle du sol, l’orange citrouille, les bleus aqua marine des devantures de magasin et le corail des pots de fleurs sur le pavé. Pas de gris froid. Une joie pour les yeux et le cœur au chaud, on oublie l’hiver.
Dans La Case 144, Lia, huit ans, dessine un immense jeu de marelle à la craie sur le trottoir pour explorer sa ville. D’une case à l’autre, elle visite son quartier et les rues avoisinantes. Au fur et à mesure que son jeu de marelle progresse, elle humera le parfum des fleurs, caressera les chats de l’animalerie, sera tentée par les bonbons de la confiserie, s’émerveillera devant la galerie d’art et dansera devant le magasin de musique.
Sautillant d’une case à l’autre, elle est soudainement forcée de s’arrêter à la case 143 : la case 144 est occupée par un sans-abri ! Ce qui dérange profondément Lia. Elle veut chasser l’intrus. On le sait : la présence des itinérants irrite souvent les gens pressés de poursuivre leur trajet sans être ennuyés par la misère du monde ; à moins que ce ne soit simplement la timidité qui nous empêche de faire un pas vers eux. Pourtant, il suffit souvent d’un simple sourire.
Lia est convaincue qu’un génie sortira de la tasse à mendier du vieillard pour exaucer ses vœux, une immense boîte de craies pour elle et des vêtements chauds pour lui. La fillette tente d’apprivoiser l’itinérant qui demeure distant et silencieux. Tranquillement, elle entreprend de lui faire la lecture, tous les jours, pour le faire sourire. Ils se lient d’amitié et les rires fusent, au grand étonnement des passants.
« C’est avec une infinie douceur que Nadine Poirier et Geneviève Després explorent le thème de l’itinérance dans La Case 144. En abordant le sujet depuis la lorgnette de la petite aventurière, elles parviennent à magnifier le réel sans jamais amoindrir le drame qui se joue dans la rue.
« Sans jamais nommer explicitement l’itinérance, jouant de finesse et de poésie Nadine Poirier évite le piège de l’éducation et de la morale. Le regard exempt de jugements que pose Lia sur cet homme, son approche naïve et brodée de merveilleux est d’une authenticité et d’une candeur à couper le souffle. » (1)
Un style d’écriture et de dessin délicat, qui n’est pas sans me rappeler l’œuvre du très talentueux Frédéric Back. Un univers plein de tendresse, sans compromis ni complaisance, sans apitoiement et sans morosité. Une histoire et des illustrations en rondeur, aux couleurs vibrantes et aux pastels lumineux, ensoleillés.
Un très bel album qui m’a réchauffé l’âme. Mais lorsque Lia, compatissante, s’insurge contre les conditions de vie du vieillard et cherche à le protéger du froid, je pense à Mathias. Il se tenait près de la Grande Bibliothèque, coin Berri et Ontario, avec ses cinq chiens qui le protégeaient du froid, de la solitude et de la déprime. Nous piquions un brin de jasette tous les deux. Il me donnait des nouvelles de chacun de ses chiens. On parlait de l’actualité, sauf du gouvernement, car je craignais que cela le mette en colère. Parfois, mon regard s’attardait sur ses chaussettes, une rouge, une bleue sûrement percées à force de tant marcher. Ah, si avais eu l’ensemble de couture de grand-maman, je les lui aurais reprisées, ses chaussettes. Mais je n’ai plus ma grand-mère, ni son aiguille à repriser, ni son moule en bois en forme de champignon. Tout cela est disparu avec ses biens dispersés.
Depuis que j’ai terminé mes contrats à Montréal, je ne vais plus souvent sur Ontario. Je ne vois plus Mathias. La magnifique bande dessinée La Case 144 a ranimé son doux souvenir.
L’approche des auteures, un peu naïve, mais sans jugement m’a fait réfléchir sur le sort des itinérants. Où Mathias dort-il cet hiver ? Je sais bien que ce ne sont pas ses multiples manteaux qu’il portait par temps chaud, par temps froid, qui le tiennent au chaud ! Ses chiens ne suffisent certainement pas à la tâche par les nuits de 25 degrés sous zéro ! Alors, comment se met-il à l’abri du froid ? Je ne l’ai jamais su, car lorsque je lui posais la question, il posait un doigt sur ses lèvres, pour ne pas trahir son secret et me révéler l’emplacement de son dortoir privé, probablement illégal, mais où il pouvait emmener ses chiens. Est-ce qu’il a faim aujourd’hui ? Une âme charitable lui a-t-elle offert une carte-repas solidaire qui donne accès à un repas gratuit pour une personne dans le besoin ? (2)
Lia s’est liée d’amitié avec le sans-abri dont la présence l’agaçait au début. Le reverra-t-elle ? Et moi, reverrai-je Mathias vivant ? Mathias dont la sécurité me préoccupe, comme celle de tous les itinérants qui affrontent les rigueurs de l’hiver et notre indifférence !
Illustrations : Geneviève Després.
1. Marie Fradette, « La Case 144 : tout au bout de la craie », Le Devoir, 23 novembre 2019.
2. On peut acheter, pour six dollars ces cartes de repas honorées par plusieurs restaurants de Montréal, de Longueuil et de Granby. Renseignements sur le site itinéraire.ca.
Membre : Monique L. de Cookshire-Eaton
Poirier, Nadine. La Case 144, Éditions D’eux, 2019, 40 pages.