Moisan, Mylène

En ces jours de consommation frénétique, je ressens le besoin de croire en la bonté et la bienveillance ; il me faut contrer la tristesse que provoquent l’inégalité du partage des richesses, le cynisme politique et social, l’itinérance, le sort des plus démunis, la solitude des personnes âgées.
Sans devenir aveugle à toutes ces souffrances, j’ose proposer ici cette bulle positive de la chroniqueuse Mylène Moisan qui trace les portraits de gens qui ont choisi d’être heureux, résilients malgré leur malheur. Elle dira que : « Les gens me confient leur vie et je passe une ou deux heures avec eux. Il y a quelque chose qui se produit. Une grande intimité s’installe et leurs histoires me touchent. » Elles nous émeuvent nous aussi.
Il s’agit d’un recueil des récits inspirants de héros du quotidien que la chroniqueuse a écrits depuis 2012 pour le journal Le Soleil. Elle a publié plus de 600 entrevues et a sélectionné ces soixante textes marquants, « y ajoutant des extraits de sa préparation et un suivi des histoires qui ont marqué des lecteurs du Soleil et de La Presse+. Une courtepointe d’humanité face à laquelle personne ne peut rester indifférent », souligne le journaliste Samuel Larochelle dans un « post » du 4 octobre 2017.
L’auteure a regroupé ces récits par thèmes : généreux, dévoués, battants, amoureux, survivants, sages, transformés. Voici quelques exemples :
Le généreux Père Noël incognito à l’épicerie.
La dévouée Louise, épithésiste qui, à partir d’un moule, « recrée une partie du visage, en silicone, qu’elle peint amoureusement jusqu’à ce que la couleur épouse parfaitement la peau » et qui fait le bonheur des personnes défigurées.
David, le battant, trisomique devenu autonome grâce à la patience et la bienveillance de sa mère qui a refusé de suivre les conseils médicaux qui lui suggéraient de placer « ça », « ça » étant David.
Les chroniques tendres sur les amours qui durent comme celle de Thérèse et Jean-Baptiste, Marcel et sa Raymonde adorée où Mylène Moisan nous livre parfois des textes très sensibles et émouvants : « Il y a des chroniques qui commencent par une simple scène croquée au hasard du quotidien comme celle de ces vieux amoureux aperçus au grand vent, rue d’Estimauville, enlacés l’un à l’autre. Un chapeau blanc, une casquette bleue, dans le gris d’un matin pluvieux […] J’ai vu dans cette scène une ode à la persévérance, presque l’acharnement. L’histoire s’est écrite toute seule, mes doigts ont glissé sur le clavier comme si ces deux inconnus murmuraient à mon oreille le bonheur d’être deux. »
Il y a les transformés comme ce concierge heureux, monsieur Marc, souriant à tous les élèves et qui est la véritable rock star de l’école. « Marc a choisi de devenir concierge après avoir travaillé dans de gros chantiers, où il brassait des millions », parce qu’à « l’école, il faisait briller les yeux et les planchers ».
Il y a tous ces gens qui, à force de volonté et de résilience, se sont construit une nouvelle vie : les survivants de tsunamis, d’ouragans, de la guerre du Cambodge, du deuil de la mort d’un proche. Des histoires édifiantes comme celle du parcours de Claire Martin, l’écrivaine qui, à 100 ans, « aime chanter, rire et s’habiller avec soin ». Claire Matin est morte à 100 ans, en 2014.
Bref, il y a tant de « bon monde » dans ce livre, comme ces personnes qui rapportent les objets trouvés, et Stéphane Lemire, gériatre qui a délaissé son statut et son salaire de médecin spécialiste pour faire de la gériatrie sociale et soigner les personnes âgées à la maison.
Dans une entrevue qu’elle accordait à Radio-Canada en 2017, l’auteure répond ainsi à la question de la journaliste qui lui demande « si elle estime que son livre est un remède au cynisme » : « C’est un concentré de belles choses qui font un contrepoids à ce qu’on entend. C’est une façon de réaliser qu’il y a encore du bon monde. »
En cette période pendant laquelle on doit se sentir privilégiés de pouvoir tranquillement profiter du plaisir de la lecture, bien à l’abri du froid et de la pauvreté, il est rassurant de se rappeler la nécessaire bienveillance que nous devons à autrui. Tremper dans la bonté de toutes les personnes dont Mylène Moisan raconte si tendrement l’histoire nous réconforte dans l’idée que l’humain (du moins certains) peut être généreux gratuitement.
En lisant ces histoires, on se dit que oui, comme l’affirme Claire Martin : « Il faut du courage pour être heureux. » C’est la grâce que je vous souhaite de tout cœur.
Lu en version numérique.
Membre : Monique L. de Cookshire-Eaton
Moisan, Mylène. Les gens heureux ont une histoire, Éditions La Presse, 2017, 286 pages.