Houellebecq, Michel et Bernard-Henri Lévy

Ce livre où d’entrée en matière les deux auteurs prennent les premières pages à se dire à qui mieux mieux leur médiocrité, au point que cela m’a d’abord rebuté. Propos provocateurs à l’adresse du lecteur sans doute, parce qu’à les lire on comprend vite qu’ils ont un fort bon ego tous les deux, mais qu’ils avaient, tant l’un que l’autre, plusieurs inimitiés à inscrire à leur carnet de visite. Ou plutôt que plusieurs personnes du milieu de l’écriture, à leur avis, n’ont de cesse de leur chercher querelle. Et c’est là un thème récurrent du livre, un peu de paranoïa sans doute. Mais ceci dit, on se trouve bientôt pris à notre curiosité d’être à l’écoute de leurs confidences réciproques.
Une chose bien jolie, c’est lorsque Michel Houellebecq raconte « cette tendance qu’ont les gens à me dire des choses qu’ils n’avaient pas eux-mêmes prévues ». Ce don d’attirer les confidences qui, à ce que je comprends, lui est profitable dans la cueillette de sujets pour ses romans. Lui et Bernard-Henri Lévy se révèlent par ailleurs fort différents de par leur origine, l’un étant juif, de famille riche et bourgeoise, l’autre (Houellebecq) d’un milieu prolétarien et pauvre.
Pauvreté matérielle condamnant au travail alimentaire, auquel Houellebecq a compris qu’il avait une chance tout à fait imprévisible d’échapper, grâce à l’immense succès de son livre des Particules élémentaires. Lui, dorénavant romancier reconnu, fort étonnant lorsqu’il confiera à Bernard-Henri Lévy sa nette préférence pour la poésie aux dépens du roman.
Il y a par ailleurs un moment fort touchant, troublant et triste, lorsqu’à la fin de ces échanges de confidences, il est fait état de la parution d’un livre mettant « en vedette » sa mère – une véritable « femme qui fuit » avec la méchanceté en plus – qui de son choix n’avait vu et ne s’était préoccupé de son fils qu’à de très rares reprises, et qui là donnait de vraies interviews pour annoncer qu’elle voulait lui casser les dents à coups de canne. Effrayant. Révélation d’une mère dysfonctionnelle pouvant expliquer le je m’en foutisme de parade et le côté personnalité fortement passive-agressive de Houellebecq. On l’aurait été à moins.
Le riche et privilégié Bernard-Henri Levy, de son côté, raconte la très grande pauvreté qui avait été le lot de sa famille à l’époque de son grand-père. Avec cependant le privilège du legs d’une tradition juive valorisant l’étude pour bien supérieure à la prière. Bernard-Henri Lévy en aura gardé la conviction profonde qu’il n’est pas de séjour plus heureux, pour la vie, qu’une page de grande littérature, se rendant compte qu’il n’a jamais sacrifié une journée pour le seul plaisir d’aller voir un film, admirer un tableau ou écouter un opéra sans savoir qu’il en fera tôt ou tard usage dans un texte. Comme il dira, un insatiable plaisir de lire et appétit d’écrire exactement comme en amour !
Un livre donc, où par ce jeu des confidences croisées pour dire leurs différences et ressemblances, les deux auteurs auront fait la preuve de leur forte capacité à se décrire et analyser. Quitte, au sortir de cette lecture, à en prendre leçon. Et à se demander si, à la mesure de ses propres capacités d’analyse, on saurait également se dire à soi-même qui l’on est, avec ses qualités et ses manques en partage.
Correspondance entre les deux hommes de janvier à juillet 2008.
Membre : Jean-Marc S.
Houellebecq, Michel et Bernard-Henri Lévy. Ennemis publics, Éditions Flammarion/Grasset, 2008, 333 pages.