Bonjour à vous toutes et à vous tous,
Jean-Christophe Rufin, qui a eu 70 ans cette année, porte plusieurs chapeaux : écrivain, médecin, diplomate, membre de l’Académie française depuis 14 ans et j’en passe. Si je vous parle de lui aujourd’hui, c’est que je viens de terminer le très beau roman Les Flammes de Pierre (Gallimard, 2021) dans lequel il aborde un sujet qu’il connaît bien, l’alpinisme, sport qu’il pratique depuis de nombreuses années.
Si vous êtes familier(ière)s avec les montagnes françaises, vous savez à quoi fait référence le titre, sinon, comme ce fut mon cas, vous le découvrirez en cours de lecture.
« Il est presque toujours impossible de savoir comment sont nées les histoires que l’on raconte. Celle-ci fait exception. J’ai le souvenir précis du jour et des circonstances dans lesquels elle m’est apparue. » (p. 11)
Donc, quatre amis, Daniel – le seul guide parmi le groupe, « ancien champion du monde d’escalade et grimpeur hors pair » –, Sylvain, Cathy et le narrateur sont partis escalader l’aiguille de la République. Lors de leur ascension, Daniel salue Rémy, guide de haute montagne pour la compagnie de Saint-Gervais, à Chamonix, au cœur du massif du Mont-Blanc.
Daniel de préciser à Cathy : « Il n’a rien fait de remarquable en montagne, dit-il sans enthousiasme. Il s’est installé dans la vallée depuis une vingtaine d’années avec son frère qui, lui, est un grand alpiniste. » Elle désire en savoir plus sur ce beau quarantenaire qui multiplie les conquêtes parmi ses clientes. Et Daniel de rajouter : « Sa seule grande histoire, c’est une histoire d’amour. » Ainsi commence ce récit divisé en quatre parties.
Retour en arrière. C’est à l’adolescence que Rémy et son frère cadet, Julien, ont commencé leurs premières ascensions. Depuis, ils n’ont cessé d’en faire, même si chacun a des objectifs et des intérêts de plus en plus différents.
Laure, qui est venue faire du ski avec un groupe d’amis, a « réservé » les services de Rémy. C’est ainsi qu’il fait sa rencontre. Le rendez-vous est fixé à Megève. Pour une rare fois dans sa vie, les rôles vont être inversés. Rémy n’arrive pas à capter le mystère de cette trentenaire, mais veut à tout prix la revoir… sauf que Laure repart le lendemain.
Elle travaille dans la finance, dans une banque d’affaires, lui n’a pas fait son bac.
Ils n’ont pas le même rythme de vie.
Elle vient en montagne pour le plaisir, alors que c’est le gagne-pain de Rémy.
Il vit « dans un chalet séparé en deux dont il louait une moitié », elle a un appartement sur la rive gauche de la Seine, à Suresnes, une commune française du département des Hauts-de-Seine.
Laure reviendra-t-elle ? Et si oui, son cœur bat-il au même rythme que celui de Rémy ? C’est ce que vous découvrirez au fil des 346 pages.
Dans les remerciements, Jean-Christophe Rufin écrit : « Philippe et Patrick Gabarrou, guides de haute montagne, ont été les modèles de la fratrie Rémy et Julien. Patrick est resté jusqu’à aujourd’hui le grand ouvreur de voies extrêmes dans le massif du Mont-Blanc auquel les alpinistes du monde entier reconnaissent non seulement du courage mais du génie. Avec Philippe, l’amitié est plus étroite car il m’a initié à la haute montagne… »
Rufin a toujours le mot juste pour parler de la montagne et des sentiments amoureux. Même si, comme moi, vous n’avez jamais pratiqué l’alpinisme, la description des lieux et la beauté des paysages, saura certainement vous captiver.
Suis-je tentée, après ma lecture, de faire de la grimpe ? Je n’irai peut-être pas jusque-là, même si j’ai pris grand plaisir à suivre les tribulations de la vie des personnages.
Ton absence n’est que ténèbres (Grasset, 2020, 2022) de l’écrivain islandais Jón Kalman Stefánsson se décline sur trois décennies, du milieu du XIXe siècle jusqu’au moment de la pandémie.
« J’ai l’impression d’avoir oublié tout ce qui se rapporte à ma personne, j’ignore quelle profession j’exerce, je ne sais rien de mes aptitudes, je ne sais pas s’il y a quelqu’un qui m’aime, je ne sais pas si j’ai des enfants – comment oublier tout ça ? Mes souvenirs ont disparu sans laisser de traces, il ne reste que cette douloureuse nostalgie. J’ai l’impression… qu’on a effacé mon identité et que quelqu’un a comblé le vide ainsi laissé avec le monde, son histoire, ses agacements, sa nostalgie, son désir d’équilibre… Une question se pose : dans quel but ? » (p. 54)
L’homme qui s’exprime ainsi a garé sa Volvo, un dimanche matin, non loin du cimetière. Il est entré dans une « vieille église de campagne bâtie vers l’embouchure d’un fjord ». Une femme Rúna, l’aborde, elle a l’air de le connaître, ce qui n’est pas du tout son cas. Elle l’invite à manger une bouchée au cimetière près de la tombe de sa mère, morte il y a un peu plus de trois ans. Qui est-elle ? Quel est son lien avec cet homme ?
À sa demande, Rúna se met à raconter comment ses parents à elle, Aldís, qui venait de passer son bac à 19 ans au lycée du centre de Reykjavík, et Haraldur, diplômé depuis quelques mois de l’École d’agriculture de Hvanneyri, s’étaient rencontrés dans la campagne islandaise il y a une cinquantaine d’années, alors qu’elle était venue dans les Fjords de l’Ouest, avec Jóhannes, son fiancé de l’époque. Mais son destin avait basculé à la minute où les yeux bleus du fermier s’étaient posés sur elle. De son côté, Haraldur ne voulait pas poursuivre la tradition familiale et reprendre l’exploitation agricole, transmise de père en fils depuis six générations.
Rúna est donc la première à relater à cet homme un pan de son histoire à elle. Est-ce que tous ceux et toutes celles qui lui parleront lui feront retrouver une partie de sa mémoire ? Que lui est-il arrivé ? Est-il en couple ? A-t-il des enfants ? Au fil des pages, une évidence s’impose : l’homme en question est sûrement écrivain… sinon dans quel but prendrait-il en note tout ce que les insulaires lui confient ? Que fera-t-il de toutes ces histoires racontées ?
Parmi les autres protagonistes, fort nombreux, je ne vous en présente que quelques-uns :
On sent une certaine attirance de Sóley, la sœur de Rúna et la femme d’Ómar, pour notre amnésique. A-t-elle déjà été sa maîtresse ? Pour l’heure, elle attend la visite de touristes japonais qui doivent débarquer dans son hôtel, le seul de la région.
Malgré le fait que le révérend Pétur Jónsson n’ait que de bons mots pour Halla Magnúsdóttir, sa femme, et la mère de ses quatre enfants, il est à se demander s’il l’aime encore. Alors qu’elle aide les femmes à accoucher, son pasteur de mari multiplie les tâches au sein de sa paroisse de 300 âmes, siège à plusieurs conseils, passe beaucoup de temps à rédiger des lettres à des membres de sa famille, à des amis et même au poète Hölderlin, mort en 1843, soit depuis plus de 50 ans. Un jour, il reçoit une enveloppe d’une certaine Guðríður Eiríksdóttir qui, même si elle n’a jamais été à l’école, a écrit un article sur les lombrics. Il le lit attentivement, est fasciné et…
Gísli Björgvinsson, le mari de Guðríður, habite avec ses trois filles la maison d’Uppsalir. Son frère aîné s’est trouvé un emploi au Canada, tandis qu’il est resté au pays. Il pêche en mer quelques semaines par année, puis passe le reste de son temps à s’occuper de ses moutons sur une ferme qu’il avait achetée alors qu’elle était à l’abandon. C’est un homme renfermé qui trime dur et qui n’a d’yeux que pour sa femme, paysanne de 34 ans, timide et courageuse, qui travaille parfois jusqu’à 15 heures par jour – surtout durant la période des foins –, mais qui ne peut s’empêcher de gruger par ci par là quelques minutes, pour lire tout ce qui lui tombe sous la main.
Pétur Jónsson part de chez lui pour rejoindre Guðríður dans les landes. À quelle fin a-t-il parcouru six heures de route à cheval ? Quelles sont ses véritables intentions ? Oui, il a bien trois livres à lui remettre, mais n’aurait-il pu les faire suivre par la poste ? Pour quelle raison tient-il absolument à la rencontrer personnellement ?
Roman dense et intriguant, parfois un peu trop verbeux à mon goût, qui nous demande de rester attentifs aux moindres détails. La construction du récit est séduisante, les multiples récits, qui se répondent ou se complètent, sont bien campés dans un univers hostile, mais ô combien beau, sur fond de mensonges, de lâcheté, d’amours interdites, de lettres jamais envoyées, de trahisons, de naissances, d’abandons, de jalousie, des ravages de l’alcool sur quelques couples, de morts naturelles ou plus tragiques, etc. Certains feront les bons choix dans leur vie amoureuse et leur travail, tandis que d’autres auront la main moins heureuse.
Petit bémol : j’ai relevé 14 coquilles (et il y en a sûrement d’autres), surtout des mots manquants. Je le souligne, car pour une maison prestigieuse telle que Grasset, c’est quand même surprenant…
Ah oui ! Ne prenez pas de notes sur les dizaines et dizaines de titres des chansons mentionnées, ils sont répertoriés sur quatre pages en fin de volume.
Cette oeuvre a déjà été suggérée par le Club des Irrésistibles, lire ici.
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Je vous souhaite de très belles découvertes et à la semaine prochaine,

Marie-Anne