Bonjour à vous toutes et à vous tous,
Les Sources (Buchet-Chastel, 2023) de Marie-Hélène Lafon s’apparente plus à une longue novella qu’à un roman. Ce récit qui va m’habiter longtemps et que j’ai lu deux fois, m’a tenue sur le bout de ma chaise jusqu’à la dernière page.
Le décor est planté dans le département du Cantal que connaît bien l’écrivaine puisqu’elle est native d’Aurillac, située au centre du Massif central. Le texte est divisé en trois temps : les samedi 10 et dimanche 11 juin 1967, le dimanche 19 mai 1974 et le jeudi 28 octobre 2021.
1967 : la narratrice, jamais nommée, est la première à prendre la parole. Elle a quitté la ferme de ses parents à Fridières où ils font l’élevage de volailles, pour épouser un homme que l’on souhaite, dès le début, qu’elle quittera le plus vite possible, car comme elle le précise page 34 : « C’est difficile de toujours faire semblant. » Pierre et elle sont mal agencés, ça se sent, ça se voit. Elle laisse également derrière elle ses deux sœurs.
Combien de temps durera ce mariage célébré le 30 décembre 1959 ? Aura-t-elle le courage, la force, de partir avant qu’un drame ne se produise ? Va-t-elle réussir à fuir ce milieu qui la détruit à petit feu ? Finira-t-elle par se confier à quelqu’un ? La peur est omniprésente chez cette femme pour qui son mari a des mots très durs, la considérant comme « molle et nulle en tout ».
La narratrice a, durant quelques mois, habité chez ses beaux-parents à Soulages. Pierre a ensuite loué durant un an une ferme avant d’en acheter une de 33 hectares le 7 mars 1963, située dans la vallée au bord de la Santoire. On y dénombre 27 vaches, un âne, des poules et des lapins, des chiens et des chats. Devant la maison, un érable et une balançoire pour les enfants.
Félix, le commis, est là depuis le tout début ; Gérard, le vacher, vingtenaire, est le petit nouveau et Annie, la bonne, partie se marier, a été remplacée par Nicole. Ils sont isolés à mille mètres d’altitude, « personne ne vient chez eux, sauf le facteur, le marchand de bestiaux ou le vétérinaire ».
C’est peu, si l’on compare avec les parents de Pierre qui ont, pour les aider dans leur maison à Soulages, « six domestiques à table tous les jours », sans compter une femme à tout faire qui est à leur service depuis deux décennies. Du côté de son mari, il n’y a qu’avec la tante Jeanne qui enseigne les mathématiques dans une institution religieuse, avec qui elle s’entend bien. Malheureusement, elle ne vient pas souvent, car elle habite Meudon.
Le 30 juin, soit dans trois semaines, elle fêtera ses 30 ans. En cinq ans, elle a eu trois enfants, venus au monde par césarienne : Isabelle, née le 30 novembre 1960, Claire, de deux ans sa cadette, et le petit dernier, Gilles. Sans eux, elle ne sait pas ce qu’elle deviendrait et considère que « sa vie est un saccage ».
Elle s’accroche à quelques bonheurs fugaces : les jours où elle descend au bourg pour faire des emplettes ou assister à la messe ; quand son mari traie les vaches ou alors le mercredi, quand il se rend au marché d’Égliseneuve vendre ses fromages, des saint-nectaires. Il y a aussi un dimanche par mois où ils vont manger, une fois chez ses parents à elle, la fois suivante chez ceux de Pierre. « Le dimanche matin, quand ils partent, il gueule mais il ne cogne pas, il se retient, elle ne sait pas pourquoi et ne cherche plus à comprendre. Elle n’a jamais rien compris, elle s’en rend compte maintenant, quand il est trop tard. » (p. 41)
L’habileté de cette histoire, est que Marie-Hélène Lafon, sur le conseil de son éditrice, a écrit un chapitre de plus pour que le fermier s’exprime à son tour.
Ainsi, lors d’une nuit d’insomnie, le dimanche 19 mai 1974, jour où Valéry Giscard d’Estaing devient le troisième président de la Ve République, Pierre, aujourd’hui âgé de 37 ans, repense à ce qu’il a vécu durant ces sept dernières années et se demande s’il n’aurait pas mieux fait de rester à Casablanca où il a fait son service militaire durant deux ans et trois mois. Jardinier pour un colonel et parfois son chauffeur, il a aussi connu une certaine forme de bonheur. S’explique-t-il la violence verbale et physique envers sa femme ? Agit-il de même avec ses employés ? Est-ce une façon d’évacuer de la frustration ?
Je ne vais rien dévoiler du jeudi 28 octobre 2021, dernier chapitre de cette saga familiale.
Le texte de Marie-Hélène Lafon est d’une grande puissance. Toujours magnifiquement écrit, les mots minutieusement choisis, la manière de raconter fait mouche et touche une corde sensible. On a l’impression d’être dans ce hameau avec ces personnages et de ressentir l’inconfort au sein de cette famille.
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Je vous souhaite de très belles découvertes et à la semaine prochaine,
Marie-Anne