Bonjour à vous toutes et à vous tous,
Que vous soyez parents ou enfants, je pense pouvoir dire, sans trop me tromper, que vous vous reconnaîtrez à un moment donné ou à un autre durant la lecture d’Où vivaient les gens heureux / Count the Ways (éditions Philippe Rey, 2021) de Joyce Maynard.
Écrit de manière très réaliste, ce roman nous fait passer par toute la gamme des émotions. Maynard met le doigt sur tant de petits détails de la vie quotidienne, qu’il est pratiquement impossible qu’on n’y trouve pas son compte.
Tout le monde désire être heureux, n’est-ce pas ? Mais certains y arrivent mieux que d’autres, du moins durant un certain temps.
Mise en contexte dans laquelle se déroule ce roman décliné sur quatre décennies. Tout ce qui suit est plus ou moins révélé dans les trente premières pages qui en comptent 553.
Où vivaient les gens heureux, divisé en 100 courts chapitres, commence en 2009. Divorcée, mère de trois enfants et grand-mère, Eleanor (El) vit maintenant dans un appartement à Brookline.
Si aujourd’hui Eleanor retourne sur les lieux où sont nés ses trois enfants, Alison (Al, l’aînée), Ursula (bientôt 31 ans) et Toby (28 ans, né le 25 décembre 1980), c’est qu’Al est sur le point de se marier. Cela fait 15 ans qu’Eleanor n’habite plus la vieille ferme où elle a élevé sa progéniture et où elle a vécu auprès de Cameron (Cam), son mari. Alors, pourquoi être partie de cet endroit qu’elle aimait tant ?
Eleanor n’a pas revu Ursula, pas plus que sa petite-fille Louise depuis trois ans. Que s’est-il passé pour que sa fille coupe les ponts avec sa mère ? Ursula qui « avait à peine huit ans, […] s’était déjà assignée le rôle de boute-en-train de la famille, celle qui, par ses efforts inlassables, ferait retrouver le bonheur à tout le monde. […] Ursula, l’éternelle conciliatrice, l’optimiste, la fille œuvrant avant tout au bien-être de ceux qu’elle aimait. »
Retour en arrière. Orpheline à l’âge 16 ans, Eleanor avait perdu ses parents qui, après une journée de ski, rentraient chez eux en voiture, à Newton, dans le Massachusetts. Morts sur le coup, à la suite d’une collision frontale. Fille unique, n’ayant pas de famille proche, Eleanor s’était débrouillée comme elle avait pu.
À 20 ans, elle avait pris la décision de s’acheter une maison. Après quelques visites infructueuses, elle s’était retrouvée à Akersville, au New Hampshire. L’agent immobilier lui avait fait visiter une ferme inhabitée depuis cinq ans, située sur un terrain de 15 hectares. « La maison qu’Eleanor cherchait n’avait pas besoin d’être très grande, mais il fallait du terrain autour, et elle devait être assez loin de la ville pour qu’on puisse voir les étoiles. [Elle] était située sur une hauteur au bout d’un long chemin de terre ». Il y avait même une petite cascade et, devant la ferme, trônait un magnifique frêne qui, selon les dires de plusieurs, était le plus vieux du village. Cet arbre prend une place importante dans ce récit, vous verrez !
Il est vrai que la propriété avait besoin d’être restaurée, mais ce n’est pas ce qui allait décourager Eleanor. À cette époque-là, elle gagnait sa vie déjà depuis un an en publiant des livres pour enfants. « J’écris les aventures d’une petite fille qui n’a pas de parents et qui voyage dans le monde entier. […] Elle faisait des dessins auxquels elle associait des histoires. » Depuis toute petite, elle n’avait eu que ses crayons comme compagnons.
Après avoir vécu ses trois premiers hivers en solitaire, Eleanor avait fait la rencontre de Cameron (Cam) lors d’une exposition dans le Vermont. Il tenait un stand où il vendait son travail sur bois. Le soir même, ils faisaient l’amour, une semaine plus tard, Cam déménageait chez elle, au mois d’août ils se mariaient et eurent trois enfants en quatre ans.
Cam confectionnait de beaux bols, mais ce n’est pas ce travail manuel qui réussissait à faire vivre sa famille. Son rapport à l’argent était, par ailleurs, très différent de celui de sa femme. Il était, en revanche, un père inventif « à la fois drôle, tendre et surprenant », aimé de ses deux filles et de son fils. Les enfants étaient curieux, imaginatifs, remplis de ressources et avaient plusieurs activités communes.
Même si une certaine routine s’était installée au sein du couple, le lien était assez solide pour ne pas se briser… enfin, si un incident déchirant n’était venu perturber leur quotidien au milieu des années 80, que dis-je, changer complètement la dynamique et l’ambiance familiale. De quoi s’agit-il ? À partir de ce moment, la vie, du moins pour l’un des personnages, sera faite de colère, de ressentiment et d’amertume.
Mais la famille n’était pas au bout de ses peines, car un deuxième événement fera éclater la bulle de ce clan tissé serré. Plusieurs questions surgissent alors : peut-on se sacrifier pour sauver ce qui nous est le plus cher au monde ? Accepter de se taire pour éviter le pire ? Faire la promesse de ne jamais parler de l’autre en mal même si on lui en veut d’avoir tout détruit ?
Est-ce qu’un « amour trop grand pour ses enfants [peut provoquer] leur désamour » ? Il est vrai qu’Eleanor avait souffert du peu d’affection et d’attention de ses parents, mais à trop vouloir compenser, cela ne peut-il pas provoquer l’effet inverse ? « Quand on essaie par des efforts permanents de faire en sorte que tout soit toujours parfait pour ses enfants, on risque d’atteindre le point de rupture. »
Plusieurs personnages secondaires jalonnent le parcours de cette famille, mais je n’en dis rien pour vous laisser le bonheur de la découverte. Un livre prenant, d’une grande actualité, qui nous fait réfléchir à notre rapport à l’autre, sur nos liens familiaux, amoureux et amicaux.
Je n’avais rien lu d’Haruki Murakami depuis un certain temps. Je viens de le retrouver, de belle manière, avec un petit livre autobiographique poétique et touchant, Abandonner un chat. Souvenirs de mon père (Belfond, 2020, 2022).
« Bien entendu, j’ai de nombreux souvenirs de mon père. Comment pourrait-il en être autrement, étant donné que, depuis ma naissance et jusqu’à ce que je m’envole du nid à dix-huit ans, nous avons vécu côte à côte dans notre modeste demeure ? » de dire, dès la première ligne, l’écrivain septuagénaire. Il en sera ainsi durant 82 pages où l’intime côtoie l’universel.
Fils unique de Chiaki Murakami, Haruki a partagé de beaux moments avec son père, tels ces dimanches après-midi lorsqu’ils allaient au cinéma ou voir des matchs de base-ball. Ou encore, comme le titre l’indique, lorsqu’un jour d’été du milieu des années 50, ils sont partis tous les deux à bicyclette avec leur chatte adulte pour l’abandonner sur une plage non loin de leur résidence. Pourquoi un tel geste ? Comment cela se terminera-t-il ? Je vous rassure, on ne peut qu’avoir le sourire en coin.
Né le 1er décembre 1917, Chiaki Murakami est originaire de Kyōto. Deuxième d’une famille de six garçons, il est devenu orphelin quand son père, qui n’avait que 70 ans, a été fauché par un train.
Chiaki a reçu une formation de prêtre bouddhiste, avant d’être enrôlé, malgré lui, le 1er août 1938. À la même période, il s’est mis à composer des haïkus. Ce qui l’animait par-dessus tout, c’était d’apprendre. Il aimait lire, il est devenu professeur, comme sa femme. Sa relation avec son fils a connu des périodes plus difficiles, des déceptions qui ont même conduit à des années de silence.
Abandonner un chat. Souvenirs de mon père procure un agréable moment de lecture et offre de jolies réflexions : « […] chacun de nous n’est qu’une goutte de pluie, anonyme parmi la multitude de gouttes qui tombent sur une vaste étendue de terre. Juste une goutte. Une goutte unique, qui possède son individualité, mais qui peut être remplacée. Et chacune de ces gouttes a ses propres sensations, elle a sa propre histoire et elle a la responsabilité de transmettre ce dont elle a hérité ». (p. 75)
J’ai été totalement séduite par les 20 magnifiques illustrations en couleur d’Emiliano Ponzi qui accompagnent les révélations faites ici par Murakami.
Cette publication ajoute une pierre de plus à la maison que bâtit, livre après livre, ce grand écrivain japonais.
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Je vous souhaite de très belles découvertes et à la semaine prochaine,
Marie-Anne