Deville, Patrick
« Les foutaises de la littérature et la peinture ». Yersin. Ce génie inconnu qui a découvert le bacille de la peste le temps qu’il faut pour bricoler un cerf-volant. La politique, l’histoire ? Il s’en lave les mains de bactériologiste. La Modernité, Baudelaire, Rimbaud, les surréalistes ? Pouah ! La modernité réside dans l’observation d’objets invisibles à l’oeil nu. Elle s’incarne dans son microscope, ses voitures, la mathématique, l’observation du mouvement des marées. Les deux Grandes guerres ? Il les appréciera, à l’écart, au bord de la mer, en Indochine. Il préfère le pays des Moïs et des Sédangs. Il se fait ethnologue. Le mariage ? Une femme ? Que des embarras en perspective pour un futur aventurier. Le sexe ? Une simple fonction « hygiénique ». Il veut voir la mer. Il veut voir le Monde. Il l’avait entraperçu, le Monde, du haut de la tour Eiffel, en parcourant la Galerie des machines de l’Exposition universelle de 1889. Il est le fils de la révolution industrielle, de la modernité. Il veut le transformer le Monde, le découvrir, à pied, en bateau, en avion, en vélo, sous l’angle de la science et des plus folles inventions de la bourgeoise triomphante. Une Longue Marche.
Peste & Choléra de Patrick Deville, l’art consommé de la concision. Sans fioritures. Un tour du Monde en 220 pages. Un regard posé sur les modernités.
Deville, architecte, ingénieur, romancier connaît trop bien la polysémie de la figure de la modernité. Il sait aussi nous la jouer mezza voce cette foutaise de la modernité industrielle. Qu’il fallait aussi évoquer dans son récit la modernité de Rimbaud et Céline, dynamiteurs de la poésie et du roman, d’Artaud, de Bataille, de Desnos, des surréalistes. Qu’il fallait convoquer les peintres et autres fous furieux de la découverte et de l’aventure. Il sait dire la modernité des lendemains qui chantent et qui vont déchanter rapidement avec les Guerres, la modernité de la bombe atomique, la modernité des collectionneurs d’art, Hitler et Goering qui entrent dans Paris. Il sait trop bien la modernité de l’abdication politique. C’est là en filigrane, cette modernité, dans tout le récit des savantes pérégrinations de Yersin qui, au final, sera touché par l’autre versant du monde, la littérature.
Un récit polyphonique où la science, l’industrie, l’aventure, la politique, l’engagement et la littérature font bon ménage… C’est rare.
Cette oeuvre a déjà été suggérée par le Club des Irrésistibles, lire ici.